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Histoires Extraordinaires, manifeste d’un génie précurseur

"Edgar Poe a emprunté la voie royale du grand art" Valery




L’aura fantastique, tant des textes que de leur auteur ont rendu Poe incontournable. Encensé par ses contemporains, sa notoriété ne s’est jamais tarie. Avec des œuvres novatrices il est devenu un sujet d’étude majeur de l‘histoire de la littérature. C’est le legs qu’il a fait aux lettres qui le rend incontournable. A la croisée des genres, les Histoires extraordinaires donnent les clefs de ce succès intemporel.



Écrites entre 1832 et 1841, publiées dans divers périodiques anglais et américains, ces nouvelles reflètent le parcours d’Edgar Poe, qui sur cette période ira de journaux en journaux. Nourri de son enfance en Europe et de ses années aux États-Unis, il insuffle la pluralité de ses influences à ses histoires. Baudelaire dira : « Tous les contes d’Edgar Poe sont pour ainsi dire biographiques ».


Après avoir connu un succès contemporain, propulsé par le scarabée d’or ses œuvres connaissent un second souffle en France, à titre posthume. C’est Baudelaire qui en est à l’origine. Il publie, en 1856 à la Librairie Générale de France, Histoires extraordinaires. Une traduction des nouvelles, regroupées en recueil. Il est composé de treize nouvelles qui nous permettrons de comprendre le titre de précurseur de Poe.

Le ton fantastique, inspiré du Roman gothique anglais prend une nouvelle tournure grâce à Poe. Il y insuffle une légère dimension scientifique qui pose le cadre d’un genre à venir : la Science-Fiction. Cette tonalité nouvelle fera dire à Valéry « Il a découvert l’étrange dans le banal, le neuf dans le vieux ».


La cinquième nouvelle, Aventures sans pareille d’un certain Hans Pfaall qui relate l’histoire d’une ascension vers la Lune en ballon - « je résolus, sans m’inquiéter du reste, de me frayer, si je pouvais, un passage jusqu’à la Lune » - fut une grande inspiration pour Jules Verne. Il publie en 1865 De la Terre à la Lune « Se mettre en communication avec la Lune en lui envoyant un boulet, un énorme projectile qui serait lancé par un gigantesque canon ! ». Le thème est similaire, mais Jules Verne y ajoute des précisions scientifiques : en parlant de l’atmosphère lunaire : « mais aujourd'hui la science admet généralement qu'elle existe. ». C’est cette précision qui laisse Poe dans le fantastique, quand Jules Verne appartient à la Science-Fiction. On comprend l’admiration de Verne dans l’écriture de Poe. Bien que légèrement désuète, elle nous plonge invariablement dans un univers fait de brume, de mystères fantasmagoriques, à la frontière d’un univers steampunk.



Poe n’est pas seulement un précurseur en termes de Science-Fiction. Il est à la croisée des genres. A la lecture du Double assassinat de la rue Morgue, l’impression de déjà-lu est saisissante. On nous y présente Dupin, qui vit partiellement reclus, logicien accompli, accompagné de son colocataire impressionné par ses capacités de déduction. Tous deux vont résoudre des crimes qui mettent même en échec les forces de l’ordre. Si le synopsis semble familier la raison est simple. Un certain Arthur Conan Doyle perfectionnera les personnages de Poe, dégrossira le trait, pour faire naitre Sherlock Holmes et son fidèle médecin. Le narrateur dans la nouvelle de Poe parle de Dupin en ces termes « je ne pouvais m’empêcher de remarquer et d’admirer, - quoique la riche idéalité dont il était doué eût dû m’y préparer, - une aptitude analytique particulière chez Dupin ». Watson, narrateur également, présente Holmes ainsi : « Et pourtant son zèle pour certaines études était remarquable, et, dans certaines limites, ses connaissances étaient si extraordinairement vastes et minutieuses que ses observations m’ont bel et bien étonné. ». Une fois de plus Edgar Poe est à l’origine d’un genre, ici le policier, puis d’une œuvre qui le marquera. Si on peut attribuer la paternité du duo emblématique à Poe, sa version reste sommaire. Il faut cependant rappeler qu’il ne les a travaillés que sur trois nouvelles (dont deux dans le recueil), tandis que Conan Doyle a eu tout le loisir de les construire.


Le style de Poe, souvent macabre, toujours teinté d’une pointe d’ironie a forgé un véritable mythe autour de l’auteur. Dans La Vérité sur le cas de M. Valdemar cet aspect du recueil de Poe est exacerbé. On y retrouve l’horreur de la mort, fourmillant de détails funèbres « Sur le lit, devant tous les témoins, gisait une masse dégoûtante et quasi liquide, - une abominable putréfaction ». Cette volonté d’inquiéter, de provoquer le malaise n’est pas sans rappeler Lovecraft, et la littérature horrifique. Mais Poe n’a pas inspiré que la littérature. Cet onirisme lugubre, mélangé de fantastique fait partie de l’image qui entoure l’auteur. On peut penser à Magritte qui a placé dans ses œuvres des références* à l’auteur et a exploité la figure noire qui l’entoure.


Il est établi que Poe a une place toute particulière dans l’histoire de la littérature, et des arts, un prix lui étant même dédié*. Il est à la préconception de genres majeurs, son ombre y flotte toujours comme un voile d’une noirceur poétique. Histoires extraordinaires contient tous les éléments avant-gardistes de l’œuvre de Poe : un cadre pour la Science-Fiction, un canevas pour le policier et la mode des histoires macabres. Si après avoir entendu tant de critiques dithyrambiques sur Poe on peut être un peu déçu par une écriture parfois serrée, il faut prendre l’ouvrage comme un livre d’histoire. On y découvre la genèse de genres littéraires qui ne cessent de gagner en popularité. Histoires extraordinaires nous plonge dans l’esprit d’un génie pionnier, parfois étriqué, toujours poétique.



Histoires Extraordinaires, Edgar Poe Ed. LGF 1856

* « la Reproduction Interdite » huile sur toile 1937

*prix annuel Edgar-Allan-Poe qui récompense depuis 1954 des œuvres de mystère, littéraires, théâtrales ou cinématographiques.


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